¶ Apprentissage, compagnonage & maîtrise
Le 24 mars 1744, un arrêt étend le règlement
du 28 février 1723, qui était appliqué jusqu'alors
aux libraires et imprimeurs parisiens. Cet arrêt va fixer l'organisation
des métiers d'imprimeurs et de libraire jusqu'à la Révolution.
Comme dans d'autres métiers, il établit une hiérachie
dans la maîtrise de l'art d'imprimer: apprenti, compagnon et maître.
« Aucun ne pourra tenir imprimerie ou boutique de libraire, ni même
prendre la qualité de libraire ou d'imprimeur en conséquence
d'aucune lettre ou d'aucun privilège tel qu'il puisse être,
s'il n'a été reçu maître en la Communauté,
à laquelle maîtrise il ne pourra être admis qu'après
avoir fait apprentissage pendant le temps et l'espace de quatre années
entières et consécutives. »
Pour devenir apprenti, il faut répondre à toute
une série de critères:
-
être un bon catholique; cet état est attesté par un
certificat de catholicité délivré et signé
par le curé de la paroisse d'origine,
-
être célibataire,
-
savoir lire, écrire et comprendre le grec et le latin et donc pouvoir
produire une attestation du Recteur de l'Université de Toulouse
(«congru en langue latine et qu'il sache lire le grec dont il sera
tenu de rapporter le certificat de l'université.»)
-
être inscrit sur le livre de la Communauté des libraires et
imprimeurs devant notaire.
Mais à Toulouse, comme dans nombre de villes du Languedoc,
les étudiants compétents sont pourtant fort rares. Dans un
rapport datant de 1738, il est ainsi noté que sur les dix-huit apprentis
toulousains, un seul connait son latin, et encore est-il marié!
C'est que note en 1743 le subdélégué, « le certificat
du recteur s'obtient très facilement et il convient de payer suffisament
son auteur. » Souvent aussi, l'unique apprenti est le fils de l'imprimeur
et bénéficie donc de dérogations.
Le travail de l'apprenti est pénible. Véritable
homme à tout faire dans l'atelier, il dort souvent sur le lieu de
travail et travaille bien souvent bénévolement. Sa formation
n'est d'ailleurs pas uniquement technique mais également morale
et religieuse. C'est que le maître pendant toute la durée
de l'apprentissage va jouer pour le jeune apprentis le rôle de père.
Il travaille aux côtés des ouvriers, très actifs à
Toulouse du fait de la pénurie de main d'ouvre qualifiée,
mais qui ne peuvent accéder au statut de compagnon ou de maître.
Puis s'il persévère dans ses études, le
jeune apprentis peut devenir compagnon, condition sine qua non, pour espérer
devenir maître: « Aucun ne pourra être admis à
la maîtrise qu'après avoir fait un apprentissage et servi
le maître en qualité de compagnon durant au moins trois ans.
» Là encore, il existe des passe droits pour les enfants de
maîtres, voire pour les compagnons qui épousent les veuves
de leurs maîtres comme c'est le cas à Montpellier. Au début
du XVIIIe siècle, on compte en moyenne un compagnon par presse.
Enfin, la consécration pour le compagnon est l'obtention
du statut de maître. Pour accéder à cette place, un
concours est ouvert par les officiers de la chambre syndicale de Toulouse
sur ordre du Lieutenant général de la Sénéchaussée.
Le candidat doit d'abord obtenir auprès du Chancelier une autorisation
pour concourir, puis passer son épreuve. Un double de sa copie est
remise au Lieutenant de police qui va alors établir un procès
verbal pour l'Intendant qui va se charger de rédiger le compte rendu
définitif pour le Garde des Sceaux. Ensuite il faut compter deux
mois de délai avant que ne tombe l'arrêt du Conseil d'Etat
du Roi. Il en coûtait alors quelques 1.500 livres pour devenir imprimeur
libraire, somme considérable pour l'époque. Par ailleurs,
comme le nombre d'imprimeurs par ville était fixé par le
Conseil d'Etat, il fallait attendre qu'une place de maître se libère
pour espérer devenir maître. Ceci explique que bien souvent
les maîtres ne sont pas originaires de la ville dans laquelle ils
exercent.
¶ Les autres métiers du livre
A côté des métiers de libraire et d'imprimeur,
gravitent toute une série de métiers à l'activité
économique non négligeable. Il faut ainsi mentionner l'existence
des colleurs d'affiches, dont le métier est défini par le
règlement édicté par le Conseil d'Etat du Roi le 13
septembre 1722. Le colleur d'affiche doit savoir lire et écrire,
il est nommé par le Lieutenant de police et doit vérifier
que les affiches qu'il colle ont l'autorisation de ce dernier. Il doit
également remettre un exemplaire à la chambre des libraires
imprimeurs. Les affiches à Toulouse ne sont guère remarquables
du fait du peu de bois gravés utilisables pour les illustrations.
On trouve toutefois souvent sur les affiches les armes du Parlement, du
Roi ou de l'évêque en frontispice ainsi qu'une colonne centrale
illustrée.
Le 15 septembre 1724, les métiers de relieurs et de doreurs
de livres sont séparés de ceux de libraires et d'imprimeurs.
Un arrêt de la Cour du Parlement de Toulouse enregistre le 14 avril
1733, la création de la Communauté des Maîtres relieurs
et Doreurs de livres de Toulouse. Il est alors interdit aux imprimeurs
et aux libraires de relier des livres, ce qui fera grincer quelques dents.
Enfin, il faut mentionner l'existence des colporteurs, qui parmi
leur bric à brac proposent également à leur clientèle
campagnarde des livres. Un Edit de 1686, complété par un
autre de 1723, règlemente cette forme de commerce. Le colporteur
qui veut vendre des livre doit savoir lire et écrire et ne pas ignorer
le contenu de des ouvrages qu'il propose. Ceci n'empêchera pas les
colporteurs de se spécialiser dans la distribution de livres prohibés
surtout protestants.
¶ La production toulousaine au XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, les ateliers toulousains travaillent
pour les administrations locales (Parlement), les autorités religieuses
(Evêque et congrégations), les institutions scolaires et universitaires
et les particuliers. Par ailleurs, le marché du livre s'ouvre légèrement
avec la (relative) baisse de l'illétrisme en Languedoc: au XVIIIe
siècle, moins de 20% de la population masculine sait signer son
nom, ce qui est en progrès par rapport au XVIIe.
Vers le milieu du XVIIIe siècle, on imprime à Toulouse
donc essentiellement des ouvrages religieux (controverse janséniste)
et scolaires (abécédaires, livres de civilité, de
bonnes manières et des classiques latins et quelquefois grecs).
En matière d'éditions pédagogiques, Toulouse est la
seule ville du Midi à pouvoir rivaliser avec les grandes cités
du Nord, telles Troyes, Reims, Paris et Lyon, avec près de 100.000
réimpressions. Pour les classiques, Toulouse représente près
de 12,4% des impressions, loin dans le Midi devant Nîmes et ses 5,2%.
Mais les travaux de ville (affiches, avis, factum, billets d'enterrement)
représentent également une part non négligeable de
l'activité d'imprimer.
Durant le dernier tiers du siècle, des ouvrages plus importants
seront imprimés à Toulouse. Il s'agit pour l'essentiel d'ouvrages
juridiques commandés par la Faculté de Droit de l'Université.Montpellier,
profite comme Toulouse de la présence de son Université,
pour éditer des ouvrages de médecine.
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Gravure
sur cuivre colophon
Illustration
de Jean Boude,
paru
en 1659 dans Décisions notables sur diverses questions de droit
par
Iean Boude, Imprimeur ordinaire du Roy et des Etats generaux de la Province
du Languedoc,
à
l'enseigne Saint Iean, près le Collège de Foix, Toulouse |
Peu de littérature générale a été
éditée dans la capitale du Languedoc, et quand on en trouve,
les ouvrages sont souvent contrefaits. Quelques ouvrages de poésie
ont toutefois été imprimés tels le Recueil
qu'imprime Colomiès à partir de 1696 et qui édite
les travaux de l'Académie des Jeux Floraux, la plus vieille académie
de ce type en Europe. L'ouvrage sera successivement repris au XVIIIe siècle
par Lecamus, Dijon, Dalles, Rayet et Robert.
¶ Les almanachs
Les productions les plus demandées aux imprimeurs toulousains
sont les almanachs et les calendriers. Pratiques, vendus à bas prix,
et diffusé à grande échelle par les colporteurs, ils
sont lus par 90% de la population lettrée. Les premiers almanachs
imprimés à Toulouse sont des ouvres de Jean Boude; il s'agit
d'une traduction française du Véritable almanach universel
de
Milan et d'un Ordo (1694). En 1728, le Calendrier perpétuel...
du Père Emmanuel de Viviers est imprimée chez la Veuve Hénault,
et vendu chez le libraire Pierre Dalles.
Le premier almanach local est tiré des presses de Pierre
Robert en 1731; il est intitulé: Almanach très curieux
pour la ville de Toulouse. Le même Pierre Robert, associé
à son fils, publiera avec privilège royal, le Calendrier,
sous le titre de Calendrier pour la ville de Toulouse. Rebaptisé
en 1757, Calendrier de Toulouse utile et nécessaire aux gens
d'affaires, cet almanach qui donne des indications sur la lunaison,
la météo des saisons et toute une série d'informations
pratiques, sera imprimé sans interruption jusqu'à la Révolution.
Le créneau s'avérant rentable, d'autres éditeurs
se lancent dans l'impression d'almanachs. En 1738, Claude Gille Lecamus
imprime son Calendrier de la Cour du Parlement. En 1769, c'est la
Veuve Pijon qui édite un Almanach journalier, dans lequel
on peut trouver le calendrier des foires et des conseils de jardinage.
En 1777, ce sont les Affiches de Toulouse (cf supra) qui éditent
un Agenda du Commerce.
Mais les deux almanachs toulousains les plus célèbres
sont celui de Furst et celui de Baour. En 1751, Furst imprime un Almanach
historique et chronologique du Languedoc dans lequel est compilé
des informations sur le clergé, l'état civil et des informations
littéraires et commerciales. Cet almanach sera repris par Crozat
en 1752 puis à nouveau par Furst en 1753, 1754 et 1755.
L'almanach de Jean-Florent Baour, qui sera imprimé de
1779 à 1790, est tout à fait remarquable. Almanach historique
de la ville de Toulouse, est un ouvrage de près de 300 pages,
esthétiquement réussi avec ses bandeaux et ses culs de lampes.
Il est complété de 1783 à 1786 par un Almanach historique
de la province du Languedoc dans lequel sont indiquées des informations
sur Pamiers, Foix, St Papoul et Castelnaudary.
¶ Les Affiches et annonces de Toulouse et Jean-Florent
Baour
Le premier journal authentiquement toulousain est les Affiches
et annonces de Toulouse, dont la parution commence en 1759 par Nicolas
Caranove. Ce dernier tient ce droit du fermier général Lebas
de Courmont qui a, pour toute la France, le privilège d'imprimer
et de vendre des affiches. En 1764, Jean Dalles reprend l'imprimerie de
Caranove et perpétue son ouvre jusqu'en 1775. Les Affiches
se composaient à l'époque de quatre pages divisées
en deux colonnes; elles étaient vendues six livres à Toulouse,
ce qui a favorisé son succès commercial.
Par la suite les propriétaires des Affiches vont
se succéder rapidement. De 1775 à 1777, c'est Jean-Florent
Baour qui va en assurer la gestion. En 1777, après un arrêt
temporaire de parution, Rayet reprend le flambeau et rebaptise le journal
Affiches
et annonces de la ville et Généralité de Toulouse
et du Haut Languedoc: c'est un échec commercial. En 1781, Baour
redevient le directeur-imprimeur du journal et ce jusqu'en 1785, date à
laquelle Brouilhet, avocat au Parlement et libraire rue St Rome en devient
directeur et Robert, imprimeur rue St Ursule, l'imprimeur.
En 1786, le nom du journal est simplifié en Affiches
de Toulouse. On y trouve les réglements provinciaux et municipaux,
des informations administratives, des nouvelles scientifiques, littéraires
et artistiques, des chroniques de spectacles ou des comptes rendus des
séances des différentes académies de la ville. Pratique,
on peut y lire les annonces des ventes, des décès, des naissances.
Culturel, on peut s'initier à la littérature en lisant des
morceaux choisis d'ouvrages littéraires. Ludique, on peut jouer
aux charades et apprendre des chansons. En revanche, et c'est un choix
délibéré de l'éditeur, on ne trouve pas d'informations
politiques si ce n'est quelques épisodes de la vie de la famille
royale. Tout au plus, va-t-il jouer un rôle non négligeable
dans la défense des idées philosophiques à Toulouse.
Sa ligne éditoriale restera toutefois fort prudente jusqu'en 1788.
Les journaux se développeront également dans tout
le Languedoc. A Montauban, Jean-Vincent Teulières, édite
à partir de 1777, le premier périodique montalbanais intitulé
La
feuille de la génération sur le modèle du journal
de Jean-Florent Baour avec qui il entretient des relations commerciales.
Il est nécessaire de revenir sur Jean-Florent Baour est
un des imprimeurs les plus remarquables de Toulouse en cette fin de siècle.
Né en 1724, il a épousé en seconde noce Marie-Barthélémy
Fontès de qui il a eu un fils connu sous le nom de Baour-Lormian
et qui siègera à l'Académie française. Il est
installé depuis 1769 au 45 rue St Rome, mais connait de nombreux
problèmes avec la puissante Communauté des libraires et imprimeurs
de Toulouse. Il est en effet inscrit comme libraire dans cette ville depuis
1776 mais a le statut d'imprimeur pour la ville de Pamiers depuis 1759.
Il va échanger cette charge avec un imprimeur toulousain, Jean-Pierre
Faye, et ne sera admis officiellement que le 9 août 1772 comme imprimeur
à Toulouse. Sa production est extrêmement diversifiée
est ses titres de glore resteront les Affiches et son célèbre
Almanach.
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